Si nous poursuivons ce que j’écrivais à propos de la « pulsion dionysiaque », comme la nommait F. Nietzsche, là ne s’arrêtent pas les caractéristiques du temps de l’adolescence. Nous devons y associer deux autres grands dieux de l’Olympe : Apollon et Athéna.
Apollon est le dieu de la lumière, lumière solaire. Eblouissant il est toujours dans le lointain, inaccessible aux hommes. Mais il indique une direction. C’est un des symboles de son arc et des flèches qu’il décoche. Il invite les Humains à regarder plus loin et plus haut. Alors que Dionysos initie le mouvement chez l’adolescent en bouleversant son corps et toutes les certitudes et habitudes acquises par l’enfant, Apollon ressaisit ce mouvement pour lui donner un but et une forme. Il invite au rêve et à des idéaux qui permettent au jeune de se projeter vers un avenir qu’il devra construire. C’est ce pressentiment de l’Etre qui touche l’adolescent et dont nous avons parlé dans notre courrier précédent. C’est un pressentiment, donc cela reste énigmatique comme les oracles d’Apollon à Delphes. Apollon disait de lui-même qu’il « exprimait les desseins de son père (Zeus) ». L’adolescent, puis l’homme fait qu’il va progressivement devenir, devra tenter de décrypter durant sa vie ce qu’est son identité profonde, son être véritable. C’est le domaine de l’esprit et de la conscience, domaine par excellence de Zeus. On remarquera que Zeus est le père des trois grands dieux cités ici : Dyonisos, Apollon et Athéna. Ses enfants ne sont que des principes essentiels qui, chacun à sa manière, expriment la conscience supérieure.
Alors que la pulsion dionysiaque est au départ désordonnée elle devient une impulsion Apollinienne, c’est-à-dire une poussée vers. Chacun d’entre nous est unique, c’est pourquoi l’impulsion mène vers une finalité propre à chaque être. Le plus bel exemple en est la recherche que Socrate entreprend après que l’oracle à Delphes ait affirmé « qu’il était le plus sage des hommes ». Je conseille à tous de lire L’apologie de Socrate par Platon qui raconte cette histoire.
Néanmoins cela reste insuffisant. S’il a pris, même partiellement, même intuitivement, conscience que, pour lui, une Grande Vie est possible, l’adolescent n’a pas les moyens seuls de parcourir ce chemin. Car le chemin est semé d’embûches, de monstres divers pourrait-on dire en langage mythologique, qu’il faut affronter. Chacun connaît les douze travaux d’Héraklès (Hercule pour les latins). C’est ce parcours que chacun va devoir affronter s’il a reconnu que l’oracle dit vrai, s’il a reconnu que Zeus est son père. Comme Zeus est bien le père d’Héraklès. Or dans la mythologie la déesse qui accompagne les héros dans les épreuves, c’est Athéna.
Contrairement à Apollon elle est très proche des Hommes. Elle est née toute casquée de la tête de Zeus : c’est une déesse guerrière. Mais L’action d’Athéna est méditée et non brutale et irréfléchie comme les combats dans lesquels se jette, ivre de sang, Arès (Mars chez les latins). Elle a une clarté de l’esprit, de celle qui saisit avec promptitude une situation et incite à l’action appropriée. Volontaire, stratège et posée, pleine de dignité, munie de l’égide, elle est dans le monde du projet et de l’accomplissement. C’est en cela qu’elle est proche des humains, des héros en particulier, qu’elle assiste de sa sagesse et de ses conseils. On reconnaît là les attributs de Zeus dont elle tient tout, comme elle le formule dans une tragédie d’Échyle. Le mythe lui donne pour mère Métis que Zeus a avalé. Métis c’est la ruse et la compréhension comme activité pratique de l’esprit, et non comme activité conceptuelle et abstraite.
Ce qu’elle inspire aux hommes c’est l’audace, elle fait jaillir l’action héroïque, dans la lumière et la clarté. Elle insuffle une volonté de vaincre dans l’instant et non comme Apollon au service d’une idée infinie, élevée donc lointaine. Elle complète donc la visée apollinienne par une pensée qui encourage la lutte pour que l’Homme se construise et ordonne sa vie.
C’est en s’appuyant sur des hommes ou des femmes en qui il aura confiance, doté de sagesse, qui croient en lui, que l’adolescent pourra entrer dans son parcours personnel de vie. Athéna est le modèle de tous les modèles en quelque sorte. C’est l’Athéna qui accompagne Odysséus (Ulysse pour les latins) jusqu’à son retour à Ithaque dans l’Odyssée d’Homère.
On peut aussi comprendre qu’Apollon arrête son jeune frère par les valeurs supérieures qu’il symbolise. Elles font obstacle à la recherche active et incessante de la bonne opportunité qui risqueraient de manquer de limites, de s’approprier quelque trésor, de surgir ici puis de disparaître par là. L’enfant surdoué est lui aussi tenté d’utiliser intelligence vive et mobile, parole habile, parfois trompeuse, sensibilité exacerbée pour user à son avantage du monde et éventuellement manipuler son entourage. Comme s’il fallait lui rappeler qu’il existe des valeurs, que des vertus leurs sont associées chez l’homme et qu’il y a là une conquête à entreprendre.
Une attitude inverse de notre « zèbre » pourra être de reprendre à son compte la beauté lumineuse de l’univers d’Apollon, sa hauteur de vue pour « porter sur le monde un regard d’une lucidité implacable » (Jeanne Siaud-Fachin) au risque d’oublier la nécessité d’une vie incarnée, de ses compromis, de ses attraits, de ses séductions. Hermès le lui rappelera facilement comme il le fit avec Apollon en lui chipant ses génisses qui symbolisent l’attrait des richesses matérielles. C’est ainsi qu’il l’aidera à redescendre sur la terre, dans le concret.
La proximité de l’un complète l’éloignement de l’autre. Hermès c’est le miracle de la vie matérielle vécue dans sa dimension communautaire faites de relations et d’amitié. A l’inverse Apollon magnifie l’individualisation de l’homme qui suppose une certaine solitude.