Le monde qui s’est ouvert à partir des années 80 s’est déchiré. L’idée d’un progrès matériel et moral continu s’est, après guerre, fracassé dans la compétition politique des deux blocs : chacun revendiquant sur l’autre la victoire à venir, finale, victoire du bien-être et de la liberté. La chute du communisme a laissé le monde orphelin d’idéologie et de perspectives alternatives. Pourtant la victoire du capitalisme n’est qu’apparente et laisse un grand vide sans direction claire qui s’impose.
Alors que la société imposait son cadre et ses valeurs aux individus, ceux-ci, libérés des carcans traditionnels, sont désormais laissés libres de leurs choix orientés par les modes, les technologies nouvelles, et les investissements des entreprises. Il n’y à d’autres directions que l’innovation, le marché et le profit.
Dans ce monde désorienté ou plutôt multiorienté que peut devenir le rôle de l’éducateur, du pédagogue et des parents ? Je partirai de mon expérience d’enseignant pour rechercher des réponses dans la mythologie auprès de la figure des centaures et plus directement de Chiron.
Regardons du côté des centaures. Ixion ( Plein de vigueur naturelle ) a été purifié par Zeus d’un meurtre abominable. Reçu à la table des dieux il tente de séduire Héra. Les règles de l’hospitalité lui sont inconnues, ou bien il les brave. Pour le punir Zeus lui envoie une nuée trompeuse ( Néphélé ) qui a la forme d’Héra et qu’il étreint. De cette étreinte naîtra Centauros ( Fort comme cent ) qui en s’unissant aux cavales de Magnésie engendre les centaures. Schelling fait la remarque que d’une fausse étreinte, avec une réalité évanescente, ne peut survenir qu’une chimère. « Etre dans les nuages » n’est-il pas proche de « vivre de chimères » ? Comme si cette réalité fugitive, insaisissable, exigeait du sujet, le centaure, un surcroit de violence pour se forcer à se maintenir et exister.
Le mythe des centaures parle toujours de la fougue et même de la sauvagerie d’êtres plutôt frustres, brutaux et sensuels, qui enlèvent les femmes pour se les approprier, c’était là le désir initial d’Ixion, et qui s’enivrent rien qu’à l’odeur du vin. D’une grande force physique ils combattent sans armes en jetant troncs d’arbres ou rochers sous lesquels ils écrasent leurs adversaires. Face à ce combat désordonné et brutal, Héraklès les affrontera avec son arc et ses flèches lors du 4ème des travaux. Ainsi lui aussi projette mais ce sont des flèches ce qui exige entraînement et adresse donc une formation, un apprentissage. Le héros, symbole d’une avancée civilisationnelle, vainc la sauvagerie pulsionnelle. Les centaures sont des êtres qui vivent en bande dans les contrées sauvages du mont Pélion. Rares sont ceux qui portent un nom : signe qu’ils n’ont pas encore atteint le stade de l’individualisation. Ils symbolisent particulièrement bien la période adolescente où l’être, en préparation, se fond dans le groupe dont il leur faudra s’éloigner pour naître progressivement à leur être propre.
De même le nourrisson est envahi par ses pulsions et c’est comme un centaure, à corps et à cris, en jetant ses pieds et ses mains dans tous les sens, qu’il tente de faire valoir ses pulsions dans le monde. Leur satisfaction à ce stade exige l’immédiateté. L’éducation consistera à faire accepter progressivement l’attente, la frustration, la sublimation également. Il lui faudra reconnaître que la mère, le père la fratrie existent aussi avec leurs besoins et leurs attentes propres. Vers 12 ans les jeunes gens poursuivent leur développement et le système hormonal relance la sexualité. Cette excitation pulsionnelle prend de plus en plus une forme génitale qui pousse à la découverte de l’autre, à apprendre les codes d’une nouvelle relation où le corps et la génitalité mais aussi le psychisme et le spirituel se mêlent dans la découverte et la rencontre de la différence. Les pulsions à nouveau doivent s’ordonner : à la fois structure et direction. Ce ne peut être que le fruit d’un apprentissage des codes et des moyens de la relation, d’une quête héroïque, où le jeune apprendra à se dominer progressivement au bénéfice de la rencontre véritable. L’inverse serait la découverte de la sexualité humaine dans le viol ou la prostitution quand l’autre est écrasé sous l’attaque, nié comme sujet : c’est bien alors la manière centaurine d’enlever les femmes.
La question qui se pose à lui est « comment » ? Et, dans quelle direction ? Parmi les centaures deux d’entre eux se distinguent par la douceur de leurs mœurs, leur sens de l’hospitalité, leur savoir et leur sagesse : ce sont Pholos et Chiron. Nous nous intéresserons au second.
Chiron est un immortel, fils de Cronos qui s’éprit de Phyliria une nymphe océanide. Pour déjouer la méfiance de Rhéa, sa femme, il se change en cheval pour poursuivre sa conquête : c’est pourquoi elle donnera le jour à un monstre, moitié homme, moitié cheval. Chiron est un centaure solitaire qui habite une grotte du mont Pélion. Néanmoins il se maria avec une nymphe et eut trois enfants. Chiron devint l’éducateur des héros, en particulier d’Achille, fils de Pelée, qu’il eut également comme élève. Ce furent mais aussi Jason, Asclépios et selon certains auteurs Héraklès lui-même. D’une grande sagesse il maîtrisait d’abord la médecine, reçue d’Apollon, et pratiquait la chirurgie. Chiron provient en effet du grec kheir qui signifie la main et a donné en français chiromancie ou chirurgie justement. Cette importance de la main nous intéressera particulièrement. Il enseignait le tir à l’arc, la musique , l’astronomie. Il connaissait l’usage des simples et s’en servait pour soigner.
De très nombreuses représentations picturales montrent Chiron enseignant le tir à l’arc à Achille. La flèche c’est la direction, le but encore lointain à viser ou atteindre. Ce but ne peut être atteint que si le bois est tendu, que la corde, support de la tension, vibre en étant relâchée. Symbole de l’ordonnancement des pulsions, de leur maîtrise, l’art du tir est contradictoire avec l’agitation et l’excitation des pulsions. Il exige au contraire patience et entraînement. La réussite d’Achille comme archer c’est la patience du maître qui suggère, qui indique et qui répète inlassablement et de l’élève qui écoute et exécute sans se fatiguer. Mais l’arc c’est aussi l’usage des mains : les mains qui maintiennent (tenir en main) la tension juste et la direction droite. Eduquer c’est trois choses : donner un cadre (l’arc), orienter (la flèche) et projeter (la tension). Sans oublier que la position du tir à l’arc demande de mettre la main au niveau du cœur. Eduquer ne peut se faire sans cœur : sans cette attention à l’autre et cette patience qui sont justifiés par l’amour.
Prendre sa vie en main s’apprend et ne peut s’improviser. A l’adolescence la difficulté est, sortant du cadre de l’enfance et de la famille, de se diriger, de choisir sa route, d’ordonner sa vie à une visée. « Emanciper » est construit sur le mot latin mancipium, lui-même formé de manus, la main, et capere « prendre » : émanciper revient donc à rendre la main.
Pour cela, nous indique le mythe de Chiron, il faut s’exercer à l’aide de la « main du maître ». Tel est le titre d’un livre de l’écuyer et enseignant Patrice Franchet d’Esperey qui relit toute l’histoire et l’enseignement équestre depuis Xénophon et les grands maîtres de la tradition équestre française. Il y a là un parallèle impressionnant où la main de l’écuyer et la bouche du cheval dialoguent.
Que nous disent les maîtres écuyers ? Rien ne peut être obtenu par la brutalité et le cavalier doit parvenir à guider le cheval par la douceur de sa main et une bienveillance répétée. Ce sont les gestes les plus subtiles de la main et l’intention tout simplement qui permettent d’obtenir les directions, les airs de manège, les allures voulues. La main, par l’intermédiaire de la bride et du mors, communique avec la bouche, elle doit le faire avec douceur et ainsi il obtient le meilleur du cheval qui alors « se donne dans la main ». « Indiquer et laisser faire » écrivait le capitaine Beudant. « Le cheval qui obéit au mouvement de la main seule est dans la main » affirme René Bacharach. Voilà sans doute tout l’art d’une pédagogie à l’écoute du cheval. C’est une particularité de la zoologie d’avoir anthropomorphisé les parties de l’animal cheval : en particulier il n’a ni un groin, une gueule, un mufle mais une bouche. Comme le cheval, Chiron a une bouche mais avec cette bouche, libre du mors, il accède à la parole.
Ainsi l’éducation doit aider l’enfant puis l’adolescent à passer d’une impétuosité équine et centaurine à la souplesse et l’énergie, le mouvement, l’activité, la sagesse civilisée de Chiron. Il fait le passage entre l’impulsion brusque et irréfléchie à la liberté ordonnée et orientée. Il le fait doublement par l’usage de la main qui propose et indique et celle de la parole qui encourage et explique : c’est ce double usage qui fait l’éducateur et aussi le psychanalyste. Le mouvement s’initie dans la main et se poursuit par la parole. « Prendre un enfant par la main » n’évoque-t-il pas directement la relation éducative, celle des parents ou celle du maître d’école ?
Sans doute Chiron dans son corps marque t-il bien la dualité humaine : l’animalité pulsionnelle qui pousse en avant et parfois avec fureur, retenue par l’humanité rationnelle et consciente qui retient et oriente. Chez Chiron les pattes n’embarquent pas la tête et le corps 1. C’est d’ailleurs de cela que les cavaliers ont secrètement, inavouablement, le plus peur, être embarqués par une monture qui s’affranchit de toutes les aides, s’émancipe violemment des indications données. L’idéal des écuyers est de devenir centaure. Rectifions la formulation, finalement inexacte, car c’est devenir le centaure Chiron : atteindre à ce moment rare et merveilleux où le cavalier fait corps avec le cheval au point de pouvoir obtenir, dans une union totale, l’écoute et « l’obéissance » de sa monture. Moment magique où légèreté et spontanéité sont au rendez-vous. La légèreté que le général L’Hotte caractérisait par l’union de l’homme et du cheval qui repose sur le principe de l’économie des forces. Comment obtenir cette légèreté ? « Je ne doute pas que ceux de mes lecteurs qui auront mis mes conseils en pratique, n’acquièrent dans ces exercices, … , le don de la communication réciproque de la main de l’homme à la bouche du cheval, et ne trouvent à ce toucher une façon qui leur permette de goûter la conduite du cheval sous l’empire d’un sentiment peut-être jusqu’alors inconnu. »2
Au XVIII ème siècle, François Robichon de la Guérinière écrit un traité qui reste encore une référence majeure de l’art équestre, « L’école de cavalerie ». Le frontiscipe de l’ouvrage dessine un Achille sur le dos de Chiron qui, de la main, lui indique le titre de l’ouvrage, c’est à dire l’idéal à atteindre pour le cavalier. A l’écoute, abandonné sur le dos du centaure, Achille, futur dresseur de chevaux, regarde ce lointain idéal.. Cette indication du centaure à son héroïque élève n’est-elle pas comparable à l’indication du cavalier à la bouche du cheval ? Indiquer et laisser faire serait l’essence de l’éducateur. Ce qui ne s’envisage que dans la confiance gagnée que manifeste le relâchement d’Achille sur le dos de son maître. Ainsi Antoine est dans l’énergie, la conquête, la violence de ses désirs. Conquérir sa confiance est la première tâche de l’éducateur. Ne pourrait-on même prolonger l’analogie pour affirmer que l’éducateur doit le prendre sur son dos, c’est-à-dire subir sa fougue, ses refus, ses incartades, ses doutes avec patience pour lui montrer la direction lointaine ?
On peut dés lors penser que cette communication intime avec le cheval, imaginaire de l’écuyer qui prend la forme du centaure Chiron, a son pendant dans l’imaginaire du maître ou de l’éducateur avec son élève. Il y a pourtant une différence essentielle : le disciple s’oriente avec le maître (il est « sous la main » dirait l’écuyer) puis il prend sa liberté et poursuit son propre chemin, devenant son propre maître. A ce moment il a acquis la rationalité et la sagesse de Chiron, symbole de celui qui est, à lui-même, son propre maître. Chiron est pédagogue car il a reconquis le sens pour lui-même en unifiant ses deux natures, animale et divine, lui qui est immortel. Pour Luc de Goustine » c’est par la main que se forge l’unité de l’être » (p.142) et cette unité suppose et supporte une parole : voilà pourquoi le centaure Chiron n’est pas bridé, on ne peut lui voler ou lui briser sa parole de sagesse.
Deux points nous restent. Pourquoi Chiron est-il blessé par Héraklès et renonce-t-il finalement à l’ immortalité ? Pourquoi Chiron est-il médecin ? Faut-il être médecin pour devenir éducateur ?
Chiron, fils de Cronos, ouvre au temps donc à l’histoire, il s’agit donc dans l’acte d’éduquer de faire entrer l’humain dans une histoire en lui traçant une direction. La symbolique de l’archer y amène. Le précepteur arme son élève. Connaissant son élève il pourra lui proposer des directions adaptées à sa personnalité naissante, ses vertus propres. Il ouvre des champs, il amène des possibilités en sachant qu’il devra aussi faire accepter des renoncements : toutes les directions ne sont pas envisageables. Le redémarrage du pulsionnel donne le sentiment à l’adolescent que le monde lui-même est à conquérir, qu’il possède la puissance pour le bousculer, y poser sa marque, être créateur et le renouveler. L’adolescent va devoir là renoncer à sa toute puissance enfantine originelle ancrée dans l’imaginaire pour gagner le monde par sa pensée, sa volonté et sa capacité à construire. Cette progressive prise de conscience est d’autant plus difficile sans doute si la nature vous a octroyé plein de dons et que l’entourage les magnifie. C’est le cas d’Antoine : le manuel autant que l’intellectuel, le sportif autant que l’artistique lui sont accessibles. L’éducateur acquiert un rôle d’autant plus important pour l’aider à faire des choix en conscience avec la délicatesse et l’amour du cœur au niveau duquel la main se situe dans le tir à l’arc.
Chiron immortel, demi-frère de Zeus, relève des principes. Les éducateurs que nous sommes, mortels donc, relevons du matériau humain avec doutes, sentiments, émotions, peurs… Le vrai maître sera l’éducateur qui, accompli, aura réintégré les principes. L’intégration de ces principes aura pour lui été un lent processus de purification de l’âme en passant par les épreuves qu’il aura su surmonter. Ainsi, à la manière de Chiron, il saura allier souplesse et rigueur, encouragements et patience, fermeté et bienveillance. C’est aussi la leçon des maîtres écuyers. Mais tout également comme un écuyer sait qu’il doit être à l’écoute du cheval qui a un « savoir » et qu’il a toujours quelque chose à apprendre de sa monture, l’éducateur doit se mettre à l’écoute de son élève ou de son l’enfant. Car l’enfant est beaucoup plus proche de la vérité et des principes que les adultes que nous sommes. Lui aussi a quelque chose à nous apprendre.
Néanmoins dans cette relation éducatrice le maître s’éprend de son élève. Un attachement et un amour s’instaurent à travers une communication et une compréhension intimes. Aider et voir son disciple s’affirmer et grandir émeut au plus profond le maître qui est justifié dans son rôle. Certains auteurs font de Chiron l’éducateur d’Héraklès. C’est lui qui dans sa lutte contre les centaures le blessera involontairement d’une flèche empoisonnée au sang de l’hydre de Lerne. Malgré toute sa science médicale Chiron ne trouvera de remède et, plutôt que de souffrir terriblement, demandera à Zeus l’abandon de l’immortalité. L’élève a blessé le maître, sans possibilité d’oubli ou de repos. L’âme du maître atteinte, celui-ci doit s’éloigner du monde des principes pour entrer dans la complexité humaine des sentiments. Le disciple va inévitablement quitter le maître pour advenir à son être propre. Là est la joie du maître et aussi sa grande peine : le temps a pris corps, il y a un avant et un après, l’après du départ pour une vie libre. C’est la blessure d’amour qui amène Chiron à renoncer à l’immortalité pour s’humaniser en acquérant la condition du mortel, en partageant joies et souffrances liées à cette condition. Il y a chez Chiron une dimension christique par une proximité humaine du dieu. Peut-être pourrions nous affirmer que c’est dans la relation éducative, dans l’accompagnement et la transmission, avant toute chose, que l’homme s’humanise réellement ? C’est particulièrement vrai dans la fonction parentale où l’enfant oblige les parents à s’ouvrir à une autre réalité que le couple refermé sur le deux. Chiron renonce à rester dans son empyrée pour s’identifier au héros (mortel) qu’il conduit. Nous touchons là sans doute ce qui représente la grande difficulté de l’éducation : abandonner l’autorité des principes, mais aussi notre volonté, notre imaginaire sur l’enfant ou l’élève pour nous accorder véritablement à ce qu’il est. C’est à une part de nous-même que nous devons souvent renoncer pour laisser l’autre libre et advenir.
Chiron, fils du temps, aide à entrer dans l’histoire. C’est bien le rôle de l’éducateur, en particulier des parents, de sortir du mythe (qui est a-temporel) pour l’introduire à la société, à l’évolution humaine et s’y inscrire. D’une part l’universalité du mythe, de l’autre la singularité de l’étant dans le flux de l’histoire, là où il pourra prendre sa place en tentant de faire vivre les principes. Mais en faisant entrer l’enfant dans le déroulé de l’histoire il s’y inscrit lui-même : l’enfant va le dépasser et le parent sera l’ancien face au nouveau. C’est souvent le drame dans les familles : les parents confrontés à l’énergie, le désir, l’insatiable ambition de naître au monde de leurs adolescents qui raniment inconsciemment leur propre entrée, plus ou moins difficile, dans l’âge adulte, ne peuvent accepter pour eux-mêmes d’être relégués dans un passé antérieur et donc une mort qui s’annonce. Qu’ont-ils faits des principes qui les animaient ? L’enfant se détache si le parent aussi le permet. Cela exige du travail sur soi. Ne doit-on pas devenir à soi-même, de plus en plus son propre maître ? Le mythe ici nous le traduit par la sagesse de Chiron qui obtint de devenir mortel.
Enfin je postulerai ici que le mythe de Chiron qui fait du centaure un médecin tente, avant toute chose, de raccorder la sagesse de l’éducateur aux principes de la médecine. L’éducateur n’a pas par principe à être médecin c’est l’évidence. On retrouve d’ailleurs ici le combat constant de Freud pour une psychanalyse laïque. Mais sans doute, nous avertit le mythe, les principes de la médecine doivent être au cœur de l’éducation . Apollon préside à la santé et à l’harmonie de l’âme. La santé appolinienne est avant tout psychique et spirituelle. C’est lui qui a enseigné à Chiron les principes médicaux. Paul Diel fait remarquer qu’il y a d’un côté l’universalité des principes et de l’autre la réalité d’une pratique, celle qu’applique Chiron avec une adresse consommée : la médecine se situe entre l’universel et le singulier dans une dialectique permanente. Les grecs en étaient très conscients. N’est-ce pas également le sens à donner à une existence vécue en conscience? L’éducation ne peut être une succession de recettes plus ou moins adaptées aux situations et aux êtres dans une relation de pure opportunité, ni être une répétition de principes imposés en vérité absolue. L’éducation ne peut être que ce dialogue permanent chez les éducateurs et les parents entre la vérité des principes , contenus dans les mythes, et leur application au cas par cas des situations et des êtres. L’usage des simples par Chiron en est la manifestation.
Mais par ailleurs la médecine apollinienne maintient constamment l’équilibre du corps et de l’âme. C’est aussi une règle de toute éducation : ne pas séparer la recherche d’un corps sain de celle d’une âme équilibrée et harmonieuse. Cela exige une connaissance fine de soi-même, autrement dit la sagesse dont le centaure Chiron était paré.
1 « C’est Chiron qui ouvre le chemin et n’embarquera jamais son cavalier, car sa sagesse et sa culture se révèlent incompatibles avec la sensibilité exacerbée et imprévisible qui caractérise les chevaux… » écrit E . de Fontenay dans un article auquel cette intervention doit beaucoup. Le centaure, mystérieux maître en humanité, in Ecole Nationale d’équitation, Colloque 2000.
2 Cité dans La main du maître, Patrice Franchet d’Espérey, Odile Jacob, p.160