JEUNESSE ET CRISE DU COVID

J’ai été très frappé par les propos tenus par le climatologue Christophe Cassou dans un interview au Télégramme. Il participe à la rédaction du dernier rapport du GIEC sur l’état du climat et rencontre des lycéens dans ses déplacements. Il nous dit « J’ai pris une claque », j’ai découvert une jeunesse désespérée, pour qui tout est foutu et les hommes politiques inertes sur les questions climatiques, écologique et de biodiversité. Et il ajoute encore : « ils ont des comportements assez inquiétants, des réflexes de renfermement et d’isolement. » 

Diverses études (Observatoire de la vie étudiante) et des alertes de pédiatres confirment ces propos et révèlent des signes inquiétants du malaise à la fois des plus jeunes (les enfants et les scolaires) et de ceux qui, étudiants en particulier, sont déjà partiellement autonomes. On ne peut face à cela se contenter de leur prôner, comme je le lis, un resaisissement pour tourner la page. Le choc de la pandémie et du confinement imposé va beaucoup plus profond et ne sera pas évacué par un acte de volonté et de l’oubli. Ce choc symbolise l’impasse et l’absence de perspective de notre société. Il est d’ailleurs pertinent de mettre en lien la dimension mondiale du virus et l’extension planétaire d’un modèle économique qui dilapide les bases de la vie. Cependant ce sont les jeunes qui, bien que moins touchés par les conséquences sanitaires du virus, sont les plus atteints, bloqués même, dans leur existence immédiate et future. Or le « modèle » économique et social ce sont les adultes qui l’ont installé et en ont profité. 

Certes la prise de conscience des enjeux de réchauffement s’impose de plus en plus comme une évidence. Les risques que nous encourrons sont majeurs. Majeurs pour les générations futures justement pas pour les anciennes. Or cela ne mobilise que modestement les hommes politiques et les élites économiques qui continuent à se disputer autour des objectifs et des mesures à mettre en oeuvre. En fait ils tentent encore de repousser les échéances. On le voit avec l’intéressante tentative de la Convention Citoyenne sur le Climat qui se solde par une loi qui édulcore terriblement le travail et les propositions des 150 citoyens appelés par le président de la république à réfléchir et proposer.

Dans le même temps, et la simultanéité des événements est parlante, le pouvoir moblise des dizaines et des centaines de milliards d’euros pour soutenir une économie qu’il a lui-même mise au ralenti, presque à l’arrêt, lors du premier confinement. Ce pouvoir nous parle de guerre sanitaire et tente de mobiliser tout un pays. Quel en est l’enjeu ? Un virus qui n’a que très peu d’impact sur les jeunes et aggrave la santé des plus âgés.

Ce qui est impossible, affirme-t-on, en matière environnementale est donc possible en matière sanitaire. Lequel est le plus urgent en réalité ? La question du climat va pourtant conditionner définitivement la vie de nos enfants et petits-enfants. D’où le désepoir relevé par Christophe Cassou. Or nous avons à ouvrir l’avenir des plus jeunes et non la marquer du sceau du blocage.

Pensons au mythe d’Oedipe.

Sur la route de Delphes à Thèbes, après avoir consulté l’oracle qui lui annonce qu’il tuera son père et se mariera avec sa mère, Oedipe croise  l’équipage du tyran (c’est-à-dire roi) de Thèbes, Laios. Laïos exige qu’il s’écarte, Oedipe refuse, Laïos porte la main à ses armes pour se faire obéir, Oedipe le tue sans savoir qu’il est son père. Deux générations face à face: symboliquement le père tente d’empêcher le fils de lui prendre sa place. La rivalité mène au combat. Le fils arrache son droit à poursuivre sa route.

On ne peut que penser que ce mythe qui nous touche au niveau individuel a également une dimension collective. Je suis moi-même et nous sommes tous, plus ou moins, ces Laïos qui avons profité de la croissance des années d’après guerre. Or elle n’a été possible que par une destruction accélérée des ressources  et des équilibres de la terre. Dès 1973 le rapport du Club de Rome mettait en garde sur l’insoutenabilité à long terme de la croissance. Nous étions prévenus et nous avons refusé de comprendre. Nous devrions en assumer la responsabilité et les conséquences. Pourtant ce qui advient maintenant c’est : il faut soigner les plus âgés « quoiqu’il en coûte ». Pour les jeunes, on verra bien… qu’ils s’écartent !

La question ici n’est pas de promouvoir une guerre des générations. Ce n’est nullement mon propos. Ce qui est en jeu c’est une montée des consciences et un partage des responsabilités. Le désespoir des jeunes n’est pas simplement le fait d’une fragilité psychique de leur âge, de l’affaiblissement de leurs conditions économiques et sociales, mais le résultat, que nous devons comprendre, d’un refus que nous leur imposons comme Laïos.

Ma tâche comme psychanalyste anthropologique est de dévoiler le caractère symbolique de la situation, même pleine de désespoir, et d'aider tout consultant à trouver le sens de ce qu'il traverse afin de rebondir.