L'ADOLESCENCE : DEUXIÈME NAISSANCE

Je voudrais partager avec vous une nouvelle réflexion sur l’adolescence à partir de la mythologie grecque. Cette réflexion je l’ai eue dans une conférence intitulée : « Apollon et Artémis éclairent l’adolescence ». Il est nécessaire d’aller plus loin car la sexualité n’était pas abordée de front. Or nul n’ignore que tout commence par ce moment que l’on appelle la puberté.

Freud montrait l’existence d’étapes de la construction psychique humaine : de 6-7 ans à 11-12 ans l’enfant entre dans une période de latence.  Vers 12 ans au contraire les pulsions sexuelles sont éveillées et doivent amener l’humain à accéder à une sexualité génitale hors de sa famille.

Le dieu grec qui symbolise les pulsions est Dionysos et c’est un dieu très particulier dans l’Olympe : il est le seul à avoir une mère humaine et non divine. Le père est Zeus bien entendu. Voici son histoire selon le mythe.

Zeus s’éprend de Sémélé qui est la fille de Cadmos, roi de Thèbes, et d’Harmonie, elle-même fille d’Aphrodite et d’Arès. C’est une humaine. Fureur d’Héra. Elle prend alors les traits de sa nourrice, Béroé, et suggère ainsi à Sémélé sournoisement d’exiger de son amant qu’il se dévoile dans sa splendeur. Zeus dans un premier temps résiste comprenant bien ce qu’il adviendra. Puis face à l’insistance de Sémélé, pris de colère, il se montre dans sa toute puissance divine et foudroie instantanément sa compagne. Or Sémélé était déjà enceinte. Zeus demande à Hermès de récupérer l’enfant dans le ventre maternel et de le lui coudre dans sa cuisse. Il avait alors six mois. Il resta donc trois mois dans la cuisse de son père. Ainsi le jeune Dionysos trouve une seconde matrice et renaît après avoir connu la mort. Il sera désigné comme un ressucité : le « deux fois né ». 

Héra ne se décourage nullement de son premier échec et comme Zeus avait confié son fils à Ino, la sœur de Sémélé, et à son mari Athamas, elle les frappe de folie. Hermès est chargé alors de l’emmener au pays de Nysa (lointaine montagne d’Asie) et il est élevé par des nymphes, des ménades et le sage Silène devient son précepteur. Pour tromper Héra, Hermès suggéra aux nymphes de l’habiller en fille. Il conserva donc un comportement efféminé.

C’est sur le mont Nysa que Dionysos cultiva la vigne et inventa le vin. Héra, alors qu’il était encore jeune homme, reconnu le fils de Zeus et le frappa de folie. Il se mit à errer à travers le monde accompagné de Silène, des ménades et des satyres. Il n’est pas que le dieu des orgies et de la sexualité, c’est un vrai combattant qui gagne des batailles contre ses ennemis. Certains affirment qu’il est allé jusqu’en Inde, est passé par l’Egypte et la Mésopotamie.  Puis il revint en Thrace, parcouru la Béotie, les îles, et imposa, par la violence, parfois terrible, son culte aux villes réfractaires comme Thèbes dirigée par Penthée, son cousin, qui refusait la participation à ses orgies. Ainsi c’est, contrairement à Hermès, par la force et la volonté qu’il parvient à s’imposer aux hommes réticents, à établir son culte divin et finalement à arracher sa place dans l’Olympe.

 

Dieu du vin, de la fête, des courses effrénées dans les bois et les montagnes en bandes, des orgies, il caractérise cette pulsion adolescente qui transgresse et démolit l’ordre ancien, familial et social. La folie, ou déraison, l’accompagne souvent. Les excès sont sa marque. Il veut s’imposer dans un ordre qui le rejette. On reconnaît la problématique de l’adolescent qui doit, par sa détermination, trouver une place dans la société.

Néanmoins il est une autre caractéristique que l’on passe curieusement sous silence.

Dionysos a une double origine : l’uterus de sa mère, une mortelle, et la cuisse de son père, un dieu. Autrement dit, il passe six mois à se construire dans la matière, physiologiquement, et trois mois à acquérir une dimension spirituelle informée par la conscience de Zeus. Une partie des villes grecques doutait de sa divinité et le rejettait. Il se vengeait terriblement.

Suivons donc le mythe dans sa symbolique. L’adolescence c’est donc une « seconde naissance » comme le disait Rousseau : une naissance à la sexualité, ce que personne ne niera, et à la dimension spirituelle ou divine en nous, ce que bien peu affirment.

Il est pourtant un auteur qui en parle de manière directe : c’est Karlfried Graf Dürckheim dans son livre « La percée de l’Être ». Il montre comment l’adolescence est un moment d’éveil à la dimension spirituelle, le pressentiment d’un autre monde : « L’adolescence est l’aube de notre être authentique. Le corps est prêt à procréer : pour la première fois le moi se pose en problème : l’esprit prend son envol dans l’infini. L’être en nous s’éveille. (…) il est la Grande Vie qui, pour la première fois s’adresse à l’homme en un langage jusque là inconnu, celui de son intériorité(…). »

Mais cette dimension, comme le montre le mythe, doit être conquise. Si la transformation corporelle est une évidence qui entraine une mutation psychique parfois difficile et douloureuse, nous le savons tous, tout le monde semble ignorer cette entrée, brève et secrète, dans la Grande Vie de l’Esprit. En effet personne n’explique aux jeunes de 15 et 18 ans qui sont confrontés à un incompréhensible en eux qu’il y a une là naissance à L’Esprit. Rimbaud pourtant en parle si bien.

D'un côté les adolescents étouffent dans leur vie, de l'autre ils ont le pressentiment de quelque chose de plus grand, de potentiellement illimitée.
Aider les adolescents consiste à les amener à prendre conscience de cette vie de l'Esprit en eux qui les appelle.