Ce texte est celui d’une intervention lors du Congrès 2015 de l’Ecole d’Anthropologie Pragmatique
L’échec scolaire est devenu depuis une dizaine d’années, sous le terme du décrochage scolaire l’alpha et l’oméga du discours éducatif. Il semble impossible à éradiquer alors que moyens matériels et politiques éducatives et scolaires se succèdent. Est-ce la faute des enseignants trop peu impliqués, si peu pédagogues? Est-ce l’insuffisance des moyens déployés par les ministres ? Est-ce l’abandon de l’autorité par les parents et la société ? Ou l’omniprésence des médias et des écrans dans la vie des jeunes ? Chacune de ces explications renvoie à la croyance que le cadre institutionnel et les méthodes pédagogiques font obstruction à l’apprentissage et que donc l’échec scolaire est de l’ordre de la cognition.
Si l’on tente d’écouter le discours des élèves quand nous les recevons en tutorat je crois que nous pouvons abandonner ces pistes : l’échec scolaire, s’il est honnêtement constaté, est rarement un problème cognitif. Il n’est que le symptôme, chez l’enfant ou le jeune, d’une difficulté à grandir, à s’extirper des relations familiales et de leur transmission inconsciente. Les difficultés de compréhension, d’attention et d’apprentissage ne sont alors qu’un symptôme et non la cause d’un arrêt. L’échec scolaire comme disfonctionnement ne relève pas, dans son fond, de l’école mais d’une transmission qui s’est arrêtée dans nos familles, toutes les familles, Ce sera cette piste que nous explorerons dans une première partie.
Faire un tel constat doit nous obliger à remettre la transmission et l’éducation en route. Cela exige de prendre des chemins adaptées aux enjeux de notre époque qui s’appuient sur le stade de développement anthropologique où nous nous situons. Aucun retour en arrière n’est possible. Le paradoxe est que ce sont dans les mythes les plus anciens que nous pouvons découvrir les schèmes explicatifs et les voies actives qui nous disent, dans leur universalité même, ce que nous devons faire. Nous avons donc choisi ce grand mythe du héros grec Héraklès qui suggère l’ampleur de la tâche qui nous attend.
L’échec scolaire c’est un constat et des discours
Sur quoi se basent les spécialistes pour connaître cet échec ? L’évaluation du phénomène est mal assurée. Souvent l’on retient le chiffre donné par l’Insee des jeunes qui ont quitté la formation initiale avec au plus le brevet, soit environ 140 000 décrocheurs qui représentent donc quelques 17% d’une cohorte. Les chercheurs font remarquer que les interruptions de scolarité se concentrent sur les 16-18 ans… les adolescents donc.
A vrai dire le discours sur l’échec scolaire est plus nuancé que celui de notre accroche introductive : des spécialistes comme Gérard de Vecchi (Maître de conférence en sciences de l’éducation) reconnaissent avec lucidité que le problème est multi-factoriel et engage au-delà de la dimension cognitive le socio-économique, l’affectif, la santé mentale, l’institution scolaire, le politique, et ils suggèrent de refonder l’école car « toutes les dimensions du problème doivent être abordées en même temps ». Derrière cette analyse qui semble marquée par la volonté de prendre le problème et le jeune dans sa globalité nous nous contentons encore, me semble-t-il, d’un découpage heuristique qui n’arrive pas à analyser la situation d’échec scolaire dans une dynamique anthropologique. Catherine a montré l’apparition puis l’évolution du terme d’adolescence. Je propose de regarder l’échec scolaire au travers de cette transformation de l’humain : la mise en échec scolaire est une manière pour les adolescents de nous avertir qu’il faut maintenant passer à une autre étape de notre devenir, c’est le monde lui-même qui doit faire le saut vers l’âge adulte alors qu’il refuse de voir et prétend rester en arrière.
Aujourd’hui l’entrée dans l’âge adulte passe par l’école. C’est une longue évolution qui nous a mené là. Elle débute au fond dés l’âge grec pour qui l’éducation est un choix philosophique et politique. Mais ce qui nous intéresse plus directement est le développement de l’école. L’école actuelle naît à la renaissance. Les jésuites auront pour cela une impulsion décisive : ils séparent en classes d’âge à instruire alors que jusque là le moyen âge avait mélangé, dans le cadre des facultés, toutes les tranches d’âge. La classe est née, l’école moderne et ses méthodes s’installent lentement. C’est relativement tôt que certaines couches sociales comprirent que l’éducation était la voie d’une promotion. Ainsi l’accès à la prêtrise et la cléricature était un moyen fréquent de sortir de sa condition en accédant à l’instruction au XVII ou XVIII siècle. Cette idée qui paraît moderne n’est en soi pas vraiment nouvelle. Cependant elle n’englobait pas toute une société, toutes ses couches sociales et toute la jeunesse.
C’est évidemment au XIXème siècle, après les lumières révolutionnaires et philosophiques, que progressivement, avec la IIIème république, germa l’ambition d’étendre le savoir à toutes les classes d’âge. Le savoir devint la clé d’une émancipation du jeune par rapport à sa famille et marquait l’accès à la citoyenneté éclairée et simultanément la possibilité de s’élever hors de sa condition sociale. Les hommes qui firent en ses débuts la IIIème république sont le reflet de cette double ambition (Jules Ferry, Gambetta, ….). Ils tenteront, avec un grand succès dans le principe, plus de lenteur dans les faits, de transmettre les voies de leur propre réussite, qui fut éclatante.
Au fond le collège unique (1975), puis l’extension du bac hors des matières académiques traditionnelles (1985) avec les matières professionnelles ne sont que le prolongement de ce rêve d’une éducation partagée, pour tous. Le système scolaire, le secondaire en particulier, reste encore très imprégné de ce grand mythe républicain qu’il faut à la fois saluer et nuancer. Les enseignants comme les parents y restent très sensibles et attachés. Ainsi l’épreuve de transition entre l’enfance et l’âge adulte s’est donc entièrement déplacée vers les études, l’apprentissage d’un métier, une recherche de diplôme. Mais cela a engendré une forte tension sociale qui, jour après jour, conditionne l’éducation et emporte l’enfant dans des attentes, conversations, centres d’intérêt où parents et éducateurs les somment de chercher leur voie, de choisir une filière de formation et un métier, de préférence protecteur et bien rémunéré. Car les adultes eux-mêmes n’ont d’autres perspectives qu’une compétition professionnelle croissante sans retour sur le sens de leur vie et les valeurs qu’ils veulent y déposer. Du coup ils projettent sur leur enfant une image idéalisée, c’est-à-dire figée. Les adolescents la refusent. Catherine nous a montré que nous avions atteint une période de « sénescence de l’adolescence » : ce n’est plus l’esprit contestataire et révolutionnaire de mai 68 qui souffle mais un repli massif qui nous crie « Je ne veux pas grandir ».
Ainsi Joséphine, redoublante de seconde et pourtant en queue de classe qui me dit : « L’école revient dans toutes les conversations, c’est systématique ». Quand je suggère pour alléger le poids et la lourdeur de sa journée scolaire de prendre un temps de dialogue avec ses parents elle répond : « Je ne vois pas de quoi je pourrais parler avec eux » et ajoute à propos de sa mère « elle est carriériste ». Pour des raisons opposées, le père étant ouvrier et la mère cadre dans une administration, les parents dans leur mobilisation accordent à l’école et à son savoir pratique une place déterminante.
La puberté est l’âge où tout est remis en jeu, les parents et leurs choix de vie perdent leur autorité, il faut inventer pour soi autre chose. Les conversations familiales ici ne mènent à rien qu’à reproduire un projet de réussite sociale et économique. L’ouverture qu’attend l’adolescent se ferme sur une répétition. Mettre en échec le discours et les valeurs des parents passe alors par l’échec scolaire. Cependant il faut analyser les choses dans plus de profondeur : ce ne sont pas ces parents là qui sont en cause. Dans leur singularité ces parents dévoilent le mouvement universel qui emporte nos sociétés et que le mythe va révéler : nous avons une obligation d’élargir notre conscience par un travail sur nous-même comme le fait Héraklès. Les adolescents en s’arrêtant dans l’échec nous pointent que nous nous sommes arrêtés anthropologiquement à un stade de la conscience qui reste archaïque. Nous sommes devant l’obligation d’un sursaut : ce sursaut représente une tâche herculéenne. Reprendre l’école sera chez le jeune, s’il est entendu par sa famille, la mise en route des uns et des autres vers ce surcroît de conscience.
Ainsi Pascaline dont les parents sont séparés et qui vient me voir avec son père. Un homme très attentif et soucieux de son avenir mais qui professionnellement est très souvent à l’étranger. La mère également est fréquemment en voyage. L’un a refait couple avec l’amie de l’autre. La fille vagabonde depuis longtemps entre les logements et à la question de ses souhaits d’avenir répond « Architecte d’intérieur ». Le père abonde sur son goût. Il y a là sûrement la fierté d’un métier reconnu. Pourtant elle a un doute : aimer faire des plans, tracer des espaces, imaginer des installations et des décorations pour une jeune fille ballottée c’est exprimer le besoin d’une structure et d’une stabilité, d’un cadre. Non un goût propre pour l’architecture. Manifestement l’absence de cadre détermine ses propres difficultés au lycée. Nos cadres d’adultes se sont effondrés et les parents ici ne savent plus que faire, comment orienter et responsabiliser leur propre existence, mais c’est chez Pascaline que les problèmes posés s’inscrivent et que l’inconscient cherche des solutions . La bienveillance est devenue un mot d’ordre dans les relations privées. On ne peut que s’en féliciter au regard de ce que fut une éducation autoritaire qui n’a pas hésité au XIXème et XXème siècle à tomber dans la brutalité. Mais cette bienveillance devient souvent un laisser-faire qui oublie qu’il faut tout à la fois un cadre et une direction. Car l’adolescent doit pouvoir à la fois s’affronter aux parents et s’appuyer sur leurs discours et leurs choix. Pascaline s’est fixée un planning de travail scolaire. Pour le tenir elle demande de manger à heure fixe avec le parent dans le but d’entretenir un dialogue, une relation et une respiration. Cette demande simple, qui peut organiser la vie de famille, n’a pas été reçue d’emblée. Il lui a fallu insister. Les parents aujourd’hui n’ont pas encore pris conscience de leur responsabilité dans la construction de l’enfant, du moins que cette responsabilité ne se limite pas à un accomplissement matériel et quelques encouragements verbaux, mais se trouve d’abord dans un cadre cohérent habité par du dialogue et de l’amour.
Ainsi Antoine, 15 ans, en décrochage scolaire qui ne supporte pas la moindre contrainte ou frustration, refuse bien sûr la moindre attention soutenue ou activité imposée. A côté du lycée il n’hésite pas à faire 4 heures de salle de sport dans sa semaine. Il est très satisfait du tutorat que je lui propose : jamais je ne parle apprentissage ou méthodes de travail et selon ses propos cela lui permet de parler librement et donc d’être écouté. Plus qu’entretenir un dialogue adulte, absolument indispensable, je fais des choses avec lui : aller au musée par exemple et échanger sur les œuvres exposées. Il me semble que si un face à face s’impose il faut lui adjoindre un côte à côte qui ne peut exclure les questionnements et les doutes de la part de l’adulte. C’est le propre même d’un travail de conscience. Encore dans les bras d’une mère qui l’a élevé seule, ne connaissant pas son père, il n’attend que le plaisir et la satisfaction la plus immédiate sans jamais se projeter dans un avenir ni accepter l’effort. L’ adolescent en échec scolaire renvoie à ses parents leurs propres impasses de vie. Où est ce père inconnu qui n’a pas désiré reconnaître Antoine et qui aurait pu lui ouvrir des voies de vie en l’accompagnant? On peut penser que si les parents se mettent au travail l’adolescent pourra quitter sa propre fixation inconsciemment organisée dans l’échec scolaire. Au-delà des parents d’Antoine c’est la position de tous les parents et éducateurs qui est remise en jeu : bien sûr nous sommes les agents de l’intégration sociale et professionnelle, mais est-ce cela la responsabilité profonde d’un adulte ? Etre éducateurs c’est accepter un travail de conscience nouveau, c’est accepter de prendre à bras le corps, par nous-mêmes, les travaux d’Hercule. C’est s’orienter vers une recherche de plus d’Etre que le mythe va nous traduire en terme d’héroïsme et de divinisation. Evidemment les parents doivent être plus conscients des nécessités de la construction de leur enfant. Mais ils doivent aussi entrer dans leur propre dynamique intérieure de transformation. Singuliers les travaux sont seuls la porte ouverte vers l’âge adulte. Le mythe peut nous y aider. Si l’adolescent est un Héraklès en puissance, la mère doit devenir à ce stade une Héra et le père un Zeus agissant.
Le héros grec par excellence ! Celui qui par ses actions répétées fait sortir de la barbarie et de la sauvagerie l’univers grec. Ce n’est pas un Rambo antique, adepte des exploits musclés. Héraklès pacifie les pays qu’il traverse, tue dragons, géants et bandes de brigands qui diffusent la terreur et l’insécurité, puis il bâtit des villes, érige des temples, inaugure de nouveaux cultes. Il purifie la terre et le monde des hommes des pulsions archaïques pour les civiliser. Héraklès est le symbole même du travail nécessaire sur soi qui amène à une transformation source d’un plus de conscience. C’est vers cela que je voudrais vous amener.
Un épisode capital le voit tuer lors d’un coup de colère son maître Linos qui voulait le réprimander. Le jeune adolescent qu’il est ne contrôle pas encore sa force. Dés lors il doit quitter Thèbes où sa famille réside. Son père lui impose un exil dans une ferme, à la montagne. Ce retour à la nature, la nécessité d’exercer son corps, d’en prendre ainsi les dimensions est une étape souvent nécessaire pour dompter les nouvelles forces de vie qui émergent. Mais maintenant à ses 18 ans il lui faut quitter la ferme et prendre son indépendance : c’est l’émancipation du monde maternel. Cela exige d’affronter le monde et de grandir soi-même avec courage, audace, ténacité. De tout cela il ne manque pas. Il parcourt alors le pays et commence par tuer le lion de Cithéron puis venge Thèbes d’une défaite subie contre les myniens. C’est à ce stade qu’il devient déjà célèbre et qu’il peut, en récompense, épouser la fille aînée du roi de Thèbes Mégara. Avec elle il eut des enfants appelés les Alcides.
Héra, dépitée de sa réussite et toujours jalouse d’un mari coureur, provoque sa folie. Il s’attaque alors à ses fils qu’il prit pour des ennemis, les abattit et les lança dans le feu. Sans doute aussi tua-t-il son épouse. De là surgissent les célèbres « 12 travaux d’Hercule » qu’Eurysthée, son cousin, roi de Mycène lui imposa sur ordre de l’oracle de Delphes et avec l’accord de Zeus. Héraklès aurait pu aisément se soustraire aux travaux. Sa grandeur est autant dans cette acceptation de la volonté divine que dans la réussite même des travaux. Il renonce à sa volonté propre pour obéir et exécuter. Il n’est pas, à ce stade, cet homme libre qu’affectionnaient les grecs mais soumis, dans une posture servile. N’est-ce pas une loi universelle : pour grandir l’homme doit renoncer à sa volonté et désir propre pour écouter la voix du Dieu (l’oracle de Delphes). Les travaux représentent l’ascèse nécessaire à la maturité.
La vindicte de la mère, fusse-t-elle adoptive comme Héra, lui enjoint de renoncer à un premier foyer, à son installation trop précoce comme roi, à une apparente et fausse « normalité » conjugale et familiale, pour poursuivre ses combats et faire en même temps œuvre de purification. Certes ses premières actions étaient considérables mais pour un héros de la trempe et la grandeur d’Héraklès elles restaient fragiles et incomplètes pour lui permettre de donner sa véritable mesure. La folie peut être lue comme une perte temporaire de sens pour l’obliger à poursuivre les tâches qu’il doit accomplir par lui-même, en lui-même. C’est la nécessité symbolique pour l’adolescent de ne pas s’installer trop vite, et accepter d’aller au bout de soi-même et de son affrontement sans trop écouter le discours commun, parental ou sociétal. La folie c’est cette partie « autre » en nous, à la fois présente et invisible, et qu’il nous faut intégrer avec conscience. Cette altérité doit s’acquérir, se conquérir, donc se payer. Se payer par des travaux.
La folie peut aussi se comprendre comme la nécessité de se retourner sur ses actes. Héraklès possède déjà un certain niveau de conscience mais il est toujours dans l’impulsivité de la jeunesse. Les circonstances intérieures ou extérieures, parfois très douloureuses, nous poussent à la solitude, à la réflexion, à une plus grande maîtrise de nous-même. L’adolescent doit se comprendre et se prouver.
Les travaux à l’adolescence représentent les multiples tâches nécessaires pour permettre de s’éloigner de la famille originelle et fonder la sienne en propre. Ce que nous pouvons prendre au sens réel comme au sens symbolique : les travaux sont alors les dimensions de la conquête par Héraklès de son Etre. Par les 12 travaux, et beaucoup d’autres qui suivront, il se hisse au niveau du père : il devient héros, c’est-à-dire un demi-Dieu, dont la mort et l’accès à l’Olympe, imposé par Zeus aux autres dieux confirme l’interprétation.
Le caractère presque impossible des travaux d’Héraklès marque la lutte contre les forces sauvages, la pacification des puissances inconscientes, des pulsions désordonnées, pour les civiliser, les organiser, les mettre au service des hommes et des dieux. Héraklès est continuellement soutenu par Athéna. Athéna est la déesse casquée sortie toute armée de la tête de Zeus. Dès qu’Héraklès fléchit et invoque son père, celui-ci le confie à sa fille. La déesse guerrière est aussi la déesse du savoir, de la sagesse qui chez les grecs est au fondement de la civilisation. Retenons que se civiliser n’émerge que par un combat dans lequel l’adolescent doit transmuter sa puissance en Etre. L’Etre est au fondement de connaissances plus profondes et d’œuvres créatrices nouvelles, il ouvre de nouvelles perspectives et organise de nouvelles formes de vie collective.
On peut, bien que très brièvement, s’arrêter sur la symbolique du nombre. Douze est le nombre d’un accomplissement, produit du trois qui mesure la dynamique interne et du quatre qui manifeste la plénitude. Douze travaux réaliseront les douze étapes nécessaires à un accomplissement humain en marche vers l’héroïsation.
Le premier des 12 travaux concerne le lion de Némée. Bête gigantesque il avait une peau que rien n’entamait. Héraklès l’attaqua successivement avec son arc, son épée, sa massue sans aucun succès. Il engagea alors la lutte à bras-le-corps et réussit à l’étouffer. Il écorcha l’animal et s’en fit une armure, la tête du lion le couvrant d’un casque. On voit là la capacité à se donner une première nouvelle peau sous la forme d’une cuirasse protectrice et invincible. Mais y parvenir exige un corps à corps et non l’usage d’artifices instrumentaux. Ainsi il manifeste, et s’approprie à la fois, les qualités du lion : le courage, la force,
Chacun des douze travaux correspond ainsi à une forme de travail et d’acquisition intérieure par la victoire. Tel est un héros.
L’hydre de Lerne marque l’imagination débordante mais aussi dévorante (les 7 têtes) provenant du monde marin et maternel qu’il lui faut trancher par l’épée et le feu.
La biche de Cérynie est notre côté tendre, sauvage, instinctif, qu’il nous faut domestiquer en le poursuivant et le fatiguant sans relâche. Aussi marque-t-elle la tentation de la fuite inlassable dans une nature primitive. Ce côté s’oppose à la pensée stratégique et la rigueur athénienne.
Chargé de chasser et ramener le sanglier d’Erymanthe, Héraklès doit en même temps combattre les centaures symboles d’une humanité encore archaïque qui ne parvient pas à dominer ses forces instinctuelles brutales ranimées ici par l’odeur du vin.
Les écuries d’Augias sont les déchets et scories de notre histoire et de celle de l’homme accumulés en nous par négligence et paresse et qu’il faut nettoyer. C’est aussi la marque de l’avarice extrême qui préfère l’odeur pestilentielle à un décrassage coûteux et exigeant.
Les oiseaux de Stymphale sont les nombreux parasites invisibles que notre esprit accumule et qui nous rongent la tête selon le mythe. C’est par des flèches adroitement ajustées qu’Héraklès les éliminent un à un.
Il dut ensuite ramener le taureau de Crète, fils de Poséidon, qui ravageait le pays. L’archaïsme des pulsions brutales qui nous assaillent et que nous devons redresser.
Le roi de Thrace Diomède régnait sur le peuple belliqueux des bistoniens. Il avait des juments anthropophages qu’il nourrissait de la chair de ses visiteurs et des étrangers égarés. Les domestiquer revient à rejeter notre narcissisme primaire pour s’ouvrir à l’autre et devenir l’hôte qui sait accueillir.
Le neuvième travail consistait à ramener à Mycènes la ceinture d’or de la reine des amazones Hyppolité donnée par Arès leur père. Les amazones représentent la femme sauvage et chasseresse, peu contrôlable, qui refuse une féminité séductrice et la maternité d’adoption en s’éloignant des hommes.
Géryon, considéré comme l’homme le plus fort de la terre, avait un troupeau de bovins d’une très grande beauté sur une île près de l’Océan. Le troupeau est un symbole de richesse et de tous les excès à combattre. Héraklès entreprit ici un voyage aventureux pour le trouver et le ramener montrant la nécessité de quêtes lointaines, pleines de détours et de risques, d’obstacles et de combats, de jalousies et d’envies. La possibilité de se perdre n’est pas à exclure, au contraire.
Les pommes d’or des Hespérides étaient un cadeau de Gaïa à Héra pour son mariage. Les Hespérides, filles d’Atlas et nymphes du soir, vivaient dans ce jardin et pour que les pommes ne soient pas volées, Héra fit garder l’arbre par le serpent Ladon. Dans la version d’Apolodore prendre les pommes suppose une véritable initiation spirituelle d’Héraklès, en 16 nuits successives avec chacune des 4 Hespérides. Seule condition pour affronter le serpent et cueillir les pommes symbole de l’ultime savoir et de l’immortalité.
Le dernier des travaux, le plus difficile dit le mythe, consiste à enlever Cerbère de l’Hadès. Cerbère, le chien à trois têtes, empêche les vivants d’entrer et les ombres de sortir. Il est le gardien des limites, la porte qui empêche la circulation des mondes. Héraklès doit, pour ainsi dire, domestiquer les forces inconscientes. Orphée avait déjà tenté de revenir des enfers pour en reprendre Eurydice. Il avait entrepris de charmer par sa musique Cerbère qui releva alors sa surveillance, mais il a manqué du courage viril nécessaire pour ne pas regarder trop tôt en arrière. Orphée est encore trop du côté féminin. Héraklès, quant à lui est plus viril et va réussir mais c’était avec la condition suivante : n’utiliser aucune arme, ni sa massue, ni son arc. Comme avec le lion de Némée c’est à main nue qu’il réussit en étouffant Cerbère suffisamment pour qu’il cède et qu’il puisse, soumis, être traîné hors du tartare. C’est par sa seule force que l’épreuve doit réussir, compter exclusivement sur soi-même. La réussite c’est la capacité et la puissance intégrée, nouvelle, de l’adolescent pour affronter définitivement ses puissances les plus reculées, secrètes, terrifiantes. Nous sommes face à la mort qu’il faut traverser et en revenir. C’est l’épreuve qui autorise, peut-être, à parler de stade adulte, celui qui est fait, capable de s’assumer intégralement.
Héraklès affronte ainsi ses démons intérieurs. Avec l’école la confrontation semble se limiter à l’appropriation d’un savoir abstrait et extérieur à l’individu. Me mettre en échec scolaire devient si nous écoutons bien le mythe: « je veux être réveillé à ma force vitale propre ». Quand Héraklès s’installe dans une vie réglée avec Mégara il est renvoyé à son ennui, à la banalité de sa vie, à l’absence de son destin. Dans chaque famille le problème se traduira différemment, l’échec scolaire est une des manières possibles que l’enfant trouvera pour traduire le hiatus.
Le mythe nous invite aujourd’hui à trois choses :