L'UTILITÉ D'UN VIRUS

En ces temps où nous sommes enfermés chez nous cela paraît un titre à la fois paradoxal et provocateur. Pourtant ce confinement pourrait être plein de vertus si nous nous en saisissons comme un exercice, certes imposé, mais salutaire. Car si ce virus nous oblige à rester cloitré chez nous il peut être aussi le moment d’une ouverture. Je pense à ces détenus qui dans la prison d’Arles participent à un atelier philosophique. L’un témoigne ainsi dans le n° de mars de Philosophie Magazine: « Ce qui me plaît le plus dans la philosophie, c’est la construction. On a une idée spontanée, mais quand on la décortique, on s’aperçoit que ce n’est pas forcément la bonne. (…) On aborde les choses d’une autre œil. (…) Si on veut rester positif, on pourrait dire que la prison donne plus de temps pour s’occuper de soi. »

C’est précisément de cela qu’il s’agit. Car nous sommes emportés dans un monde de l’excès : excès des sollicitations et du numérique, de la consommation, des déplacements continuels, de la recherche de la vitesse et de la performance, de l’accumulation de puissance etc. Je vois comme Erick Orsenna le virus comme une possibilité de ralentir le rythme et de se poser de nouvelles questions ou d’anciennes questions retournées différemment. C’est aussi la possibilité de de tisser de nouveaux liens avec nos enfants, notre conjoint, notre voisinage, les amis ; de prendre un livre négligé ; de débuter une nouvelle réalisation artistique ; d’écouter nos désirs en profondeur ; de reprendre le sens de notre vie. C’est dire que si le corps va être contraint, notre esprit à l’inverse se donnera de nouveaux espaces de liberté. Cela exigera de notre part la volonté de défaire certaines habitudes ou certains choix manifestement usés.

Je vois deux conséquences de ce temps accordé à notre âme, c'est-à-dire l'esprit qui anime et permet d'organiser notre vie.

Premièrement cela va faire redémarrer notre pensée et notre conscience. Par pensée je n’entends pas un mode de réflexion utilitaire qui se contente de « penser » une organisation de voyage  ou le partage des tâches ménagères (ce qui, au demeurant, sera bien nécessaire en ce temps de cohabitation forcée) mais une véritable pensée. Celle qui, avec la philosophie et la psychanalyse, nous aide à remettre du sens dans nos vies. Je suis tenté de dire « à tisser du sens dans nos vies ». Notre univers quotidien ne donne comme direction qu’une consommation accrue d’objets ou de services. Cela ne peut satisfaire l’âme qui a besoin de vérité ou d’absolu ou de beauté, selon les aspirations de chacun. Pour certains cela se fera plus dans un cadre de foi religieuse. Cela importe peu car ce qui compte c’est l’honnêteté d’une interrogation intérieure et personnelle, c’est la remise en marche d’une conscience et des responsabilités qu’elle doit assumer vis-à-vis d’elle-même, de son entourage, du monde.

Justement c’est, me semble-t-il, le deuxième aspect. Plusieurs commentaires que je lis ces jours-ci mettent l’accent sur les conséquences de nos fonctionnements politiques, sociaux, économiques sur les humains d’un côté, l’environnement naturel de l’autre. Une des questions majeures qui nous assaille brutalement c’est les déséquilibres croissants et pour certains irréversibles que subit le vivant. Des auteurs déjà pointent que l’apparition de nouveaux virus ne sont pas sans lien avec nos modes de vie irréfléchis. Nos enfermements auront pour vertu immédiate de beaucoup moins nuire : moins de voitures, réduction importante des vols, baisse de la production et émissions diverses en diminution. Mais l’essentiel adviendra si nous prolongeons cela d’une maîtrise plus grande de nos modes de vie futurs en considérant que nous ne pouvons être uniquement des prédateurs des ressources naturelles mais aussi contribuer à leur préservation et leur régénération. Autrement dit il faudra que la « pause » se prolonge dans notre conscience et notre volonté.

On le voit ce virus chaotise le monde que nous avons construit et que secrètement nous voulons remarquable, efficace, confortable, éminemment désirable. Ce virus franchit toutes les barrières de nos sociétés ultra performantes et nous engage à explorer d’autres voies plus modestes mais plus fraternelles des hommes et respectueuses du vivant qui nous porte.

La pensée consciente est le propre de l’Homme. C’est à la fois un combat, parfois une fardeau, et pourtant ce qui fait sa grandeur : ne rien faire par pure habitude, paresse ou aveuglement, voire par simple égoïsme. En ce sens je leur propose de « grandir ». 

«  Penser rend vivant » écrit Flore Vasseur. C'est aussi ce que nous cherchons ensemble, mes patients et moi, dans le travail thérapeutique.