Nous sommes conscients qu’aujourd’hui dans le monde un double mouvement s’opère vis-à-vis des religions : dans bien des pays, occidentaux en particulier, la sécularisation engendre une perte des pratiques autant que des savoirs religieux ; dans le même temps le rejet des institutions religieuses, la perte de confiance dans leurs représentants, s’accompagnent d’un mouvement inverse d’élaboration par les individus de nouvelles croyances.
Certains sociologues parlent de « bricolage » pour marquer le fait que ces croyances sont constituées d’un mélange de symboles, valeurs, images, pratiques diverses glanées au fil de la mondialisation des cultures. Contrairement à ce que l’on a pu croire nos sociétés n’ont pas éliminé le fait religieux, l’athéisme ne s’est pas imposé même s’il a fortement progressé, mais le rapport à la croyance religieuse s’est profondément transformé. Il y a là une transformation anthropologique que je juge majeure : les humains cherchent de plus en plus en eux-même ce qu’ils attendaient autrefois des clergés.
Cela pose la question de la présence du religieux dans nos vies et surtout de l’éducation à donner à nos enfants:
N’est-ce pas un embrigadement doctrinaire, source d’intolérance et de conflits violents ?
Avons-nous à leurs transmettre quelque chose au même titre que les sciences, les langues ou l’art ?
Faut-il les faire participer aux cultes ?
Peut-on faire confiance désormais au discours des ministres des cultes qui se sont décrédibilisés ?
En effet il faut distinguer le religieux du spirituel. Le religieux c’est l’institution avec les bâtiments, les textes sacrés, les rites ordonnés et prescrits, les ministres du culte, les règles d’organisation générales… Le spirituel est un mot du langage philosophique autant que théologique. On le faire découler du questionnement initial de l’Homme devant sa finitude (sa limitation dans le temps) et sa contingence (il n’a pas en lui-même sa raison d’être). C’est un questionnement métaphysique sur l’Etre et cela rejoint l’expérience mystique d’un Tout-Autre.
Or les enfants ont une période où ces questions affleurent et où ils font des expériences intérieures profondes que Rudolf Otto dénomme « numineuses ». Je propose cet exemple simple, parlant par lui-même : un enfant d’environ 5 ans s’adresse à sa mère, « Maman, il y a quelque chose de trop grand en moi. » Il fait là l’expérience de quelque chose qui le déborde, d’un surplus, une réalité transcendante à sa vie. C’est ce que K.G.Dürckheim appelle les expériences de l’Etre. Nous en faisons, ou en avons tous fait, avec des intensités variables, sans vraiment nous en rendre compte, nous les oublions ou les relativisons. Nous ne pouvons transmettre ces expériences qui sont intimes et hautement personnelles car ce n’est pas un savoir mais un ressenti profond qui saisit et bouleverse l’adulte. Néanmoins nous pouvons éduquer à cette dimension spirituelle.