UNE ÉDUCATION RELIGIEUSE DANS L’ENFANCE ?

Nous sommes conscients qu’aujourd’hui dans le monde un double mouvement s’opère vis-à-vis des religions : dans bien des pays, occidentaux en particulier, la sécularisation engendre une perte des pratiques autant que des savoirs religieux ; dans le même temps le rejet des institutions religieuses, la perte de confiance dans leurs représentants, s’accompagnent d’un mouvement inverse d’élaboration par les individus de nouvelles croyances.

Certains sociologues parlent de « bricolage » pour marquer le fait que ces croyances sont constituées d’un mélange de symboles, valeurs, images, pratiques diverses glanées au fil de la mondialisation des cultures. Contrairement à ce que l’on a pu croire nos sociétés n’ont pas éliminé le fait religieux, l’athéisme ne s’est pas imposé même s’il a fortement progressé, mais le rapport à la croyance religieuse s’est profondément transformé. Il y a là une transformation anthropologique que je juge majeure : les humains cherchent de plus en plus en eux-même ce qu’ils attendaient autrefois des clergés.

Cela pose la question de la présence du religieux dans nos vies et surtout de l’éducation à donner à nos enfants:

N’est-ce pas un embrigadement doctrinaire, source d’intolérance et de conflits violents ?

Avons-nous à leurs transmettre quelque chose au même titre que les sciences, les langues ou l’art ?

Faut-il les faire participer aux cultes ?

Peut-on faire confiance désormais au discours des ministres des cultes qui se sont décrédibilisés ? 

Ma réponse est positive : l’éducation spirituelle est absolument nécessaire, sous trois formes distinctes mais emboitées.

En effet il faut distinguer le religieux du spirituel. Le religieux c’est l’institution avec les bâtiments, les textes sacrés, les rites ordonnés et prescrits, les ministres du culte, les règles d’organisation générales…  Le spirituel est un mot du langage philosophique autant que théologique. On le faire découler du questionnement initial de l’Homme devant sa finitude (sa limitation dans le temps) et sa contingence (il n’a pas en lui-même sa raison d’être). C’est un questionnement métaphysique sur l’Etre et cela rejoint l’expérience mystique d’un Tout-Autre.

Or les enfants ont une période où ces questions affleurent et où ils font des expériences intérieures profondes que Rudolf Otto dénomme « numineuses ». Je propose cet exemple simple, parlant par lui-même : un enfant d’environ 5 ans s’adresse à sa mère, « Maman, il y a quelque chose de trop grand en moi. » Il fait là l’expérience de quelque chose qui le déborde, d’un surplus, une réalité transcendante à sa vie. C’est ce que K.G.Dürckheim appelle les expériences de l’Etre. Nous en faisons, ou en avons tous fait, avec des intensités variables, sans vraiment nous en rendre compte, nous les oublions ou les relativisons. Nous ne pouvons transmettre ces expériences qui sont intimes et hautement personnelles car ce n’est pas un savoir mais un ressenti profond qui saisit et bouleverse l’adulte. Néanmoins nous pouvons éduquer à cette dimension spirituelle.

L’éducation spirituelle peut donc prendre trois directions :

  • Un enseignement proprement religieux, aux faits et savoirs des religions comme fait culturel. En France ce sera principalement, mais pas seulement, le christianisme. En effet si nous ne possédons pas un minimum de repères historiques, architecturaux, théologiques les cathédrales ne seront jamais qu’un tas de pierres illuminées par de jolies couleurs. Or vitraux, chapiteaux, tympan des églises sont de véritables catéchismes à l’usage de chrétiens, souvent analphabètes, du moyen-âge.
  • Les expériences de l’Etre dont parle K.G.Dürchkeim sont ou ne sont pas. On ne peut les provoquer mais on peut les accompagner. L’enfant est familier de cette présence du merveilleux autour de lui qui est une forme que prend le « divin ». La tâche des adultes consiste d’abord à ne pas nier, ni dévaloriser ces expériences mais les reconnaître en y mettant des mots simples. L’émerveillement qu’il éprouve dans la nature, sa fascination qui peut s’accompagner de longues rêveries où il est absorbé en lui-même, manifeste déjà cela. Ce n’est pas uniquement que la fleur est « belle » d’un point de vue matériel, c’est qu’elle reflète une qualité d’un au-delà d’elle-même, d’une Grande Vie qui nous dépasse et pourtant se dévoile un instant. Seul l’adulte qui a fait l’expérience, ensuite a accepté pour lui-même cette réalité suprapersonnelle, peut trouver les mots justes et les formuler à l’enfant. Celui-ci d’ailleurs percevra directement si cet adulte vit ce qu’il dit ou bien si c’est une formule apprise et usée.
  • Troisième niveau de cette éducation c’est une éducation au langage des symboles. Si une expérience de l’Etre est pure expérience, elle exige du langage et de la pensée pour être intégrée, pour rentrer dans la vie intérieure.  Les mythologies et les religions ont fixé, certes souvent de manière doctrinaire et dogmatique, l’expérience première qu’elles tentent de traduire en s’appuyant sur des symboles. Prenons la croix, symbole essentiel du christianisme. Ce ne sont pas simplement deux bouts de bois assemblés. La richesse de ses significations est immense. En particulier la croix symbolise à la fois l’horizontale qui marque l’ouverture au monde par les bras, la dimension relationnelle, et la verticale  qui fait le lien entre la terre (la matière donc) et le ciel (l’esprit). L’Homme se situe entre ces trois dimensions. Cela peut être facilement expliqué aux enfants en associant cela à son corps dans lequel ces dimensions s’inscrivent. Il sera alors plus capable de le comprendre.

Nous ne sommes pas constitués seulement de matière.
 Nous devons reprendre conscience de notre dimension spirituelle,
qui donne sens à notre parcours humain.
C'est pourquoi le psychanalyste anthropologique
interroge aussi ses patients sur leurs liens à l'Etre.